
I. Définition d’un actif incorporel
Un actif incorporel ou immatériel est un bien qui n’est pas de nature physique, c’est-à-dire qu’il est impossible de toucher car il n’a pas d’existence matérielle. L’actif incorporel est un actif non monétaire, conservé de manière durable pour exercer l’activité de l’entreprise. Le goodwill, les sites internet et logiciels, les fonds commerciaux, les bases de données, le savoir-faire, la reconnaissance de la marque et la propriété intellectuelle, comme les brevets, les marques et les droits d’auteur, sont tous des actifs incorporels.
Un actif est considéré comme incorporel s’il répond aux conditions suivantes :
- Être clairement identifiable, c’est-à-dire séparable d’une personne morale ;
- Détenu et contrôlé par l’entreprise ;
- Evalué de façon fiable selon des méthodes d’évaluation spécifiques ;
- Porteur d’avantages économiques à court et à long terme pour l’entreprise.
Les actifs incorporels se décomposent en six classes distinctes :
- Les frais d’établissement comprenant toutes les charges liées à la création, la modification et/ou les différentes étapes de vie d’une société. Ces frais peuvent être des frais de constitution (droits d’enregistrement, apports, coûts des formalités d’inscription de l’entreprise, etc.), des frais d’augmentation de capital, de fusion et de scission ou encore des frais de prospection et de publicité concernant l’image de l’entreprise ;
- Les frais de recherche et de développement regroupant toutes les charges liées à l’effort financier en matière de recherche scientifique ou technique et de développement. Ces frais incluent uniquement les travaux de création destinés à augmenter les connaissances qui seront utilisées pour les opérations de développement expérimental. Ces frais excluent les sommes consacrées à la R&D sur les actifs immobilisés ;
- Les concessions et droits similaires, brevets, licences, marques, procédés, logiciels, droits et valeurs similaires. Ces frais correspondent aux dépenses réalisées pour détenir cet avantage de protection accordé au titulaire de cet actif incorporel. Dans cette classe, les actifs les plus récurrents sont :
- Les brevets, titres de propriété industrielle protégeant les inventions techniques et délivrés pour 20 ans en échange de la publication des caractéristiques ;
- Les marques, nom ou ensemble de « signes » permettant de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux de ses concurrents ;
- Les sites internet et logiciels développés en interne et apportant une valeur économique à l’entreprise ;
- Les droits d’auteur, titres de propriété intellectuelle protégeant les œuvres de l’esprit uniques marquées par le symbole ©. Ces titres donnent accès au droit moral et au droit patrimonial ;
- Les droits au bail faisant référence au droit dont bénéficie le locataire d’utiliser ses locaux dans une durée déterminée. Ces droits reflètent la somme que le cessionnaire du bail paye au cédant afin de bénéficier des dispositions garanties par le bail commercial. La sous-évaluation du loyer par rapport au prix de marché peut également être représentatif de ces droits ;
- Les fonds commerciaux constitués des actifs incorporels nécessaires pour maintenir et développer le potentiel d’activité de l’entreprise tels que la clientèle, l’image de marque et l’enseigne ;
- Les autres immobilisations incorporelles telles que le goodwill. Représentant la différence entre la valeur d’achat et la valeur économique de l’entreprise, cet actif fait l’objet d’une évaluation spécifique et nécessaire selon la méthode du Purchase Price Allocation (PPA). La méthodologie de cette évaluation se base sur la répartition du prix d’achat entre les actifs et passifs identifiables de la société cible acquise dans le cadre de la transaction.
II. Contexte et intérêts des actifs incorporels
a. Pourquoi évaluer un actif incorporel
De nos jours, les actifs incorporels sont devenus les nouveaux moteurs de l’activité économique puisque nous valorisons davantage l’économie du savoir plutôt que l’économie industrielle.
Les entreprises ne sont pas toujours capables de gérer et diffuser de manière précise, experte et régulière leur communication financière auprès des diverses parties prenantes que sont le management, les actionnaires, les salariés, les investisseurs et les financiers. C’est pour cette raison qu’évaluer et comptabiliser les actifs incorporels devient donc une nécessité pour améliorer la précision et la fiabilité de la communication financière afin de construire une image de marque et renforcer la réputation de l’entreprise. En effet, avoir connaissance de la réelle valeur de ces actifs incorporels donne plus de vraisemblance au marché et plus de sérénité auprès des investisseurs financiers.
La plupart des entreprises, et notamment les PME, ont du mal à obtenir des financements auprès des établissements de crédit car les actifs incorporels sont ignorés par les experts-comptables, les banquiers et les financiers. Pour ce faire, l’évaluation de ces actifs et la reconnaissance de leur juste valeur intrinsèque sur le bilan permettrait à leurs détenteurs d’améliorer leur chance de succès de demande de financement. Pour ce faire, il est possible de mettre en garantie et d’exploiter ces actifs incorporels évalués en échange de financements.
b. Pourquoi acheter un actif incorporel
Le rachat d’un actif incorporel lors d’une acquisition d’entreprise a pour but de permettre à l’acheteur de bénéficier de l’actif tel quel en évitant d’être exposé aux multiples risques afférant au passif de la société vendeuse. L’entreprise acheteuse comptabilise et inscrit l’actif acquis en immobilisations incorporelles et celui-ci sera amorti sur une durée déterminée tenant compte du cycle de vie du produit, de son âge ou encore de sa notoriété (pour une marque par exemple).
c. Pourquoi vendre un actif incorporel
La cession d’un actif incorporel est une opération financière qui intervient, en général, dans une situation de difficulté économique de la société vendeuse. Cette pratique permet au vendeur de recevoir des liquidités et d’avoir suffisamment de fonds dans un but de refinancement ou de développement…
III. Méthodes d’évaluation des actifs incorporels
Dans nos travaux d’évaluation, la valeur des actifs incorporels a été estimée comme la valeur retenue entre un possible vendeur et un possible acheteur sur une base purement commerciale dans un marché concurrentiel avec un accès à l’information pertinente, sous réserve de tous les droits légaux et contractuels ainsi que les obligations et restrictions relatives aux actifs incorporels. L’évaluation de ces actifs peut être réalisée à travers trois approches : l’approche par les revenus, l’approche par le marché, et l’approche par les coûts.
a. Approche par les revenus
L’approche des revenus se décompose en trois méthodes, à savoir l’approche des redevances, l’approche par les flux de trésorerie actualisés, l’approche par la prime. Ces approches consistent à déterminer un revenu spécifique à l’actif incorporel.
- (i) Approche des redevances
Une redevance est une contrepartie sous forme d’une somme d’argent qui est versée au titulaire du droit de propriété intellectuelle (DPI) par le bénéficiaire du droit d’utilisation.
L’approche des redevances est ainsi utilisée pour valoriser certains actifs incorporels et repose sur la valeur des redevances perçues par le propriétaire de l’actif et capitalisées après la déduction des coûts associés au maintien de la licence et après impôts. Cette valeur se calcule à partir des taux de redevances publics observés sur le marché pour des actifs comparables à l’actif à évaluer.
Ainsi, il faut considérer un panel d’entreprises ne possédant pas une certaine marque mais ayant recours à un paiement en redevance afin d’en acquérir les droits d’exploitation. Nous avons recours à un échantillon de sociétés comparables, tant en termes de secteur, de durée de vie, de rentabilité que de risques associés.
De plus, nous avons recours à une étude qualitative considérant 6 facteurs, à savoir la solidité du marché, l’image de l’actif, la tendance de l’actif, son positionnement, sa politique commerciale et la protection. À chaque facteur est attribué une note nous permettant ainsi de retenir une prime de risque ainsi qu’un taux de redevance ajustés en fonction des hypothèses faibles et hautes des taux de redevance des comparables.

Avec :
R : Redevance perçue par le propriétaire de l’actif
CAAA : Chiffre d’Affaires Attribuable à l’Actif
i : année
t : taux de redevance ajusté
Par la suite, ces redevances sont actualisées selon un taux de capitalisation égal à la somme du coût des capitaux propres. Le coût de la dette n’est pas inclus dans ce taux de capitalisation car les uniques propriétaires de ces redevances sont les actionnaires.
La somme des redevances nettes actualisées après déduction de l’ensemble des dépenses nécessaires à l’entretien de l’actif incorporel représente la valeur de l’actif incorporel.
- (ii) Approche par les flux de trésorerie actualisés
L’approche par les flux de trésorerie actualisés (Discounted Cash-Flow ou DCF) repose sur la valorisation des flux de trésorerie générés par l’entreprise à partir de l’exploitation de ses actifs et de ses dettes. Néanmoins, contrairement à la valorisation classique des DCF utilisée dans l’évaluation d’entreprise, les flux futurs doivent être estimés d’un point de vue des participants du marché plutôt que celui de la personne morale. En effet, cette méthode dresse la manière dont les participants du marché évalueraient les flux qui seraient uniquement obtenus par le biais d’un actif incorporel.
Ces flux projetés sont actualisés sur la durée de vie économique résiduelle selon le coût moyen pondéré du capital (CMPC) et ensuite additionnés pour obtenir la valeur de l’actif incorporel évalué.

Avec :
VAI : Valeur de l’Actif Incorporel
FTF : Flux de Trésorerie Futurs obtenus par le biais d’un actif incorporel
i : année
CMPC : Coût Moyen Pondéré du Capital
- (iii) Approche par la prime
L’approche par la prime se base sur la valeur des revenus générés par la marque, c’est-à-dire à la prime de marge observée sur l’activité. Cette prime représente le surprofit généré par l’activité avec ses produits et/ou services de l’actif incorporel associé par rapport aux produits et/ou services comparables commercialisés sans actif incorporel associé. Les primes de coût et économies d’échelle permises par l’actif incorporel associé sont totalisées aux revenus supplémentaires générés par cet actif.
Il est important de noter qu’il est indispensable d’également prendre en compte les coûts spécifiques associés à l’actif incorporel que l’on déduit à la valeur de la prime. Dans cette approche, la formule de l’actif incorporel se présente ainsi :

Avec :
VAI : Valeur de l’Actif Incorporel
b. Approche par le marché
L’approche par le marché regroupe deux méthodes distinctes, à savoir l’approche des transactions comparables et la méthode Interbrand.
- (i) Approche des transaction comparables
L’approche des transactions comparables est fondée sur des transactions intervenues dernièrement sur des actifs incorporels similaires vendus à un tiers sur le marché actuel. Les critères de comparaison sont le marché adressé par l’entreprise, son positionnement dans le marché, son modèle économique, la nature de l’actif incorporel, la situation économique et la situation juridique. Ainsi, nous estimons les valeurs des actifs vendus comparables comme représentatifs de la valeur de l’actif incorporel isolé à évaluer.
- (ii) Méthode Interbrand
La méthode Interbrand est spécifiquement utilisée dans l’évaluation de marque et principalement dans des entreprises cotées. Cette méthode se base uniquement sur un classement des 100 marques mondiales les plus valorisées établi par la société Interbrand. Pour figurer dans ce classement, la marque doit réunir trois conditions spécifiques :
- Être présent sur au moins trois continents ;
- Réaliser au moins 30% du chiffre d’affaires hors du pays d’origine ;
- Réaliser moins de 50% du chiffre d’affaires sur un des trois continents.
La valorisation de la marque selon cette méthode se base sur la performance financière, l’influence de la marque sur la décision d’achat, l’évaluation des revenus futurs et la force de la marque sur son marché. Cette étude inclut une table des valeurs indiquant le rapport entre la valeur de la marque et sa capitalisation boursière.
c. Approche par les coûts
L’approche par les coûts inclue deux méthodes d’évaluation, à savoir l’approche par les coûts historiques et l’approche par les coûts de remplacement. Les méthodes par les coûts sont basées sur la recréation de la marque dans le présent.
- (i) Approche par les coûts historiques
L’approche par les coûts historiques se base sur l’estimation des coûts de l’actif incorporel nécessaires au développement de l’entreprise depuis qu’elle existe. Dans cette méthode, le coût historique mesure le coût actuel engagé post-amortissement pour la création de l’actif incorporel. Ce coût peut se décomposer en des dépenses de création, de protection et de développement de l’actif incorporel telles que :
- Les frais de recherche, de dépôts ou bien d’enregistrement nécessaires à la création et à la protection de l’actif ;
- Les frais de communication, de publicité ou de marketing nécessaires au développement de l’actif ;
- Les dépenses en ressources humaines.
Ainsi, la valeur de l’actif incorporel est calculée selon la formule suivante :

Avec :
VAI : Valeur de l’Actif Incorporel
CS : Coûts Supportés par l’entreprise pour la création de la marque
A : taux d’Amortissement associé aux coûts
i : année
- (ii) Approche par les coûts de remplacement
L’approche par les coûts de remplacement se base sur l’estimation des coûts nécessaires pour développer un actif incorporel similaire à l’actif actuel. La valeur de ce coût quantifie le coût estimé de remplacement de la marque ou de sa recréation afin d’obtenir un actif équivalent.
Il est important d’utiliser cette méthode avec prudence car il n’existe pas toujours une corrélation entre les coûts de remplacement et la valeur future de cet actif incorporel tenant compte des dépenses supportées. En effet, investir dans un actif incorporel ne fait pas constamment croître sa valeur.
IV. Appréciation des résultats
Nos travaux consistent à proposer une valeur ou une fourchette de valeurs de l’actif incorporel et non de définir le prix de cession de cet actif nécessitant de prendre en compte l’environnement économique de l’opération d’acquisition.
L’évaluation d’actifs incorporels nécessite une réelle implication des différentes parties prenantes car les enjeux comptables sont importants. Cet exercice, attribué généralement aux groupes côtés, ne doit donc pas être sous-estimé car l’impact sur les états financiers futurs de l’acquéreur est parfois significatifs.